Psychogéographie: cartographier nos émotions révolutionne les soins de santé!

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Par : Pierre Dupont

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Avez-vous déjà visualisé mentalement les rues entre votre domicile et votre lieu de travail ou votre café préféré, en vous concentrant uniquement sur ces deux points sans imaginer ce qui se trouve entre eux ? Si c’est le cas, vous avez probablement remarqué que dans notre esprit, il semble souvent n’y avoir aucune distance entre les lieux qui nous intéressent… ou du moins pas autant qu’en réalité.

Les individus ont tendance à représenter l’espace de manière topologique, c’est-à-dire en observant comment les lieux que nous connaissons et fréquentons sont organisés et reliés les uns aux autres. Nous appelons ces représentations graphiques subjectives de l’espace vécu des cartes mentales ou psychogéographiques. Ces représentations nous permettent d’interpréter librement le paysage en fonction de nos émotions.

Notre perception de l’espace

Les cartes mentales sont le résultat de notre perception subjective des espaces dans lesquels nous vivons.

Vous pourriez, par exemple, créer une carte des endroits où vous retrouvez vos amis de l’université, ou d’un quartier contenant des lieux que vous aimez visiter régulièrement. Vous pourriez être capable de distinguer des sentiments et perceptions positifs ou négatifs à propos de ces lieux – ils peuvent sembler agréables ou désagréables, relaxants ou stressants, sûrs ou dangereux, effrayants, joyeux, tristes, etc.

Ces cartes nous permettent également d’observer la pensée spatiale des gens – elles nous montrent comment nous nous orientons, comment nous structurons l’espace et comment nous identifions des repères, des frontières, des quartiers, des chemins et des nœuds. Ce sont des représentations graphiques des environnements où nous nous déplaçons habituellement, vivons et grandissons, et elles sont considérées comme des ressources cognitives précieuses dans la géographie de la perception.

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Le niveau de maturité cognitive d’une personne et sa capacité à penser spatialement de manière abstraite déterminent sa capacité à créer une carte structurée – la carte elle-même peut présenter divers degrés de détail et de complexité, mais cela est indépendant de toute qualité cartographique réelle. Elles nous aident également à analyser comment chaque personne perçoit son espace de vie, ainsi que les habitudes, valeurs, croyances et sentiments qu’elle entretient.

De plus, elles nous permettent de reconnaître les « fonds de connaissance ». Ce terme fait référence à tout ce que nous savons et apprenons – culturellement, institutionnellement, socialement, géographiquement – tout au long de notre vie.




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Connaître les mouvements, connaître la personne

Cette relation entre les espaces et l’esprit a donné naissance à de nouvelles sous-disciplines géographiques, telles que la géographie émotionnelle, la psychogéographie et la géographie psychanalytique.

Ces domaines examinent les humeurs des patients atteints de maladies chroniques ou d’autres groupes sociaux, cherchant à identifier l’interrelation entre les émotions, le comportement humain et les lieux physiques, ainsi que l’environnement social, culturel et économique plus large. Cette sorte d’étude montre, par exemple, comment la prévalence de la dépression diminue à mesure que la mobilité spatiale des personnes augmente, entraînant plus d’interactions sociales, d’expériences et de perceptions des lieux.

La technologie ouvre de nouvelles possibilités dans l’étude de ce domaine. Les données géoréférencées par les téléphones mobiles, les emplacements partagés sur internet et les transactions de paiement numérique fournissent des informations sur la vie quotidienne des gens. Cela permet de créer des cartes d’humeur personnalisées qui identifient les lieux de plus grand ou moindre stress dans la vie quotidienne. De cette manière, les émotions des lieux que nous accédons physiquement ou via internet sont cartographiées, tout comme nos sentiments et expériences.

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Ces cartes peuvent ensuite être utilisées pour offrir des thérapies psychologiques qui se concentrent sur l’analyse des lieux où les gens passent leur vie quotidienne, traitant la santé mentale comme une priorité. Par exemple, dans le cas des troubles anxieux, nous pouvons identifier des lieux toxiques qui engendrent la peur, et analyser les déclencheurs dans ces lieux à ces moments.

Le recensement comme instrument de soin

Ce domaine offre également un grand potentiel pour la recherche transdisciplinaire entre géographes, psychothérapeutes et ingénieurs informaticiens.

Prenons le cas des États-Unis comme exemple. Nous avons ici le précédent de ce qu’on appelle la « Géographie du désespoir » – des données compilées à partir d’une enquête téléphonique sur l’état d’esprit de plus de 2,4 millions de personnes aux États-Unis. L’objectif était d’évaluer la santé mentale à un niveau géographique, et d’obtenir des informations pour la planification et l’organisation des services de santé, en vue de diriger les ressources là où elles étaient le plus nécessaires.

Ce projet pourrait être encore plus approfondi en combinant ces données avec d’autres ensembles de données pour produire des rapports psychogéographiques. On pourrait utiliser, par exemple, des données de recensement. Aux États-Unis, la plus petite unité de mesure utilisée pour collecter les données démographiques dans les centres de population est le secteur de recensement. Si nous analysions les secteurs de recensement, nous pourrions combiner des données statistiques avec l’environnement et le comportement des personnes pour produire des résultats plus précis.

La recherche psychogéographique pourrait également relever des défis en Europe, tels que l’analyse des liens entre des troubles comme l’anxiété ou la dépression et leur relation avec les domiciles des personnes affectées. Les indicateurs statistiques pourraient inclure la densité résidentielle, l’espace de vie disponible par logement, les espaces verts, les équipements culturels, le chômage, la médication, le vieillissement et la violence contre les femmes.

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En Espagne, par exemple, les données de recensement sub-municipales pourraient être comparées avec les secteurs de recensement aux États-Unis. Cela pourrait aider les recherches futures à identifier les zones de forte incidence afin de sélectionner des communautés pour des essais ou des recherches. Ces données psychogéographiques pourraient ensuite, à leur tour, aider à établir des thérapies psychosociales basées sur la communauté dans des zones vulnérables.

En élargissant notre capacité à cartographier l’espace que nous occupons de cette manière, nous pouvons nous aider, en tant que société, à gérer nos sentiments tout en l’habitants.


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